Le billet du chef - mi-juin 2010

 

 

 

 

 

 

Battre la mesure

 

 

Le chef d'orchestre bat la mesure pour diriger.

 

Le non-chef d'orchestre bat la mesure pour s'y retrouver.

 

Essayons de distinguer.

 

Le geste du chef d'orchestre est une chose subtile. En peu de mots - si cela est possible -, tout ou presque y est affaire de préparation. Parlant de Toscanini, le violoniste David Soyer, membre du Quatuor Guarneri - nous en ferons le tour ! - dit : "Sa levée était si précise et elle nous transmettait l'atmosphère et le tempo avec une telle clarté que, parfois, le premier temps n'était même pas nécessaire" *. Ajoutons simplement ici que le chef d'orchestre doit battre le temps. Il doit aussi - le point est plus délicat qu'il n'y paraît - tenir compte du rebond qui suit et qui est fonction de la musique. Rebond nul, comme celui d'un sac de sable. Rebond "parfait", comme celui d'une "balle magique". Rebond bondissant, comme celui du Marsupilami.

 

La mesure du non-chef d'orchestre est une chose simple. Il vous faut une boîte - un cube ou un parallélépipède rectangle - ouverte sur une face. Cette face ouverte est placée devant vous verticalement. Votre main droite (pour les droitiers) est placée dans la boîte - votre main gauche (si cette précision peut vous être utile) vous servira à maintenir la boîte. Dans une mesure à quatre temps, le premier temps sera frappé sur la face du bas, le deuxième temps sera frappé sur la face de gauche, le troisième sur celle de droite et le quatrième sur celle du haut. L'instant de l'impact correspond au début du temps, la main restant alors immobile sur toute la durée du temps (exactement comme si l'on allumait et devait maintenir allumée une lampe). Ainsi, si le temps contient deux croches, on frappera le temps sur la première et l'on restera immobile sur la seconde. Si le temps contient quatre doubles croches, on frappera le temps sur la première et l'on restera immobile sur les trois autres. Si le temps contient huit triples croches, on frappera le temps sur la première et l'on restera immobile sur les sept autres (lorsque le tempo s'accélère, il vous faut bien entendu commencer à vous déplacer un peu plus tôt pour ne casser ni la boîte ni votre main).

 

Cette conception de la mesure - elle concerne le domaine de la pédagogie plutôt que celui de l'art -, nous n'avons pas le mérite d'en être l'auteur. Nous en avons pris connaissance incidemment voici plus de dix ans. Nous l'avons expérimentée sans attendre. Nous l'avons pratiquée avec l'assiduité nécessaire. Jamais cependant nous n'avons pu convaincre pleinement quiconque autre que nous-même. Nous le déplorons. Cette conception de la mesure nous apparaît lumineuse et définitive.



 

 

Emmanuel Pirard, 17 février 2010

 

 

* David Blum, The Art of Quartet Playing : the Guarneri Quartet in Conversation with David Blum, Cornell University Press, Ithaca (N.Y.), 1986 (traduit de l'anglais par M.-S. et A. Pâris, L'Art du quatuor à cordes. Conversation avec le Quatuor Guarneri : essai, Actes Sud, Arles, 1991)

 

 

 

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Page mise à jour le 5 juillet 2010

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Cercle Inter-facultaire de Musique Instrumentale