No comment III

Je vous l'ai dit, je n'y croyais pas. Pour cette
raison, je ne vous l'ai pas donnée à connaître. J'ai ainsi expliqué ma
position.
On peut en prendre une autre.
Je ne pense pas que je vous aie fait perdre beaucoup. Mais enfin chacun est
libre de juger. Ce que je veux vous dire maintenant, c'est ceci. C'est que,
en tout cas, si je n'ai pas joué cette musique, je ne me suis jamais opposé
à ce qu'on la joue dans nos concerts. Mon cher et regretté Vöchting vous a
fait entendre les cinq Pièces d'orchestre de Schönberg, il y a deux ou trois
ans. Si vous aviez connu cette oeuvre auparavant, vous auriez pu faire à son
sujet l'expérience dont je viens de parler : le mûrissement de la musique
authentique. Je vous l'ai dit, la musique de Debussy qui paraissait
incompréhensible en 20, est devenue compréhensible en 40 ou 50. Ainsi la
musique de Strauss. Mais cette musique, ces cinq Pièces d'orchestre, je les
connais, moi, depuis 1912. Eh bien, je puis vous assurer que ce qui était
obscur en 1912 est resté obscur en 1966 ! C'est la raison pour laquelle je
n'y crois pas. Les choses artificielles ne vivent pas, et par conséquent
elles ne peuvent pas mûrir.
Ernest Ansermet, 1969 (1)
- Que pensez-vous de l'évolution du langage musical
d'aujourd'hui ?
- Je ne refuse pas une partition. Je suis un professionnel : je fais ce
qu'on me demande. Ce n'est pas parce qu'une musique ne jaillit pas
d'elle-même selon mes conceptions, que je la dirigerai à contrecoeur. Au
contraire, je vais me pencher davantage sur une musique qui n'a pas le
caractère de spontanéité que j'aime. Et je vais vous dire franchement : ce
n'est même pas difficile. Dans ces musiques, il y a un mode d'emploi que
l'on n'a qu'à suivre. Il n'y a pas d'interprétation. C'est beaucoup plus
facile à mettre au point qu'une symphonie de Mozart.
- En général, on est persuadé que la musique contemporaine est infernale à
diriger.
- Pas du tout. Personne, même pas l'auteur, ne peut détecter quoi que ce
soit dans ce fatras. J'en ai dirigé beaucoup en présence des auteurs. Quand
j'étais à l'Orchestre des Pays de la Loire, j'ai conduit divers programmes
de musique contemporaine. Très honnêtement, nous avons répété sept, huit
jours, en faisant du détail. Je vous jure qu'à la générale l'impression
était exactement la même qu'à la lecture. Cela peut se déchiffrer en public.
Interview de Pierre Dervaux par Edith Walter, 1981 (2)
23 octobre 1912
Je me dois de le noter. A Hambourg, le 19 octobre après l'audition du
Pierrot lunaire, Essberger m'avoua (dit : confesser !) que le clarinettiste
aurait joué Mondfleck durant toute une répétition sur une clarinette en la
au lieu de celle en si sans que je le remarque. Possible, toutefois il n'est
pas prouvé que je ne m'en aperçus pas quand même (par endroits) mais que le
courage de faire une remarque m'ait manqué. Tout simplement parce qu'il est
impossible de s'imaginer que quelqu'un puisse jouer toute une pièce un ton
plus bas. Bien au contraire, on suppose avoir soi-même mal entendu. Ce fait
est pour moi significatif. A travers lui, je m'explique pourquoi d'un homme
confiant je suis devenu un homme méfiant !
Quelle perfidie !
Arnold Schönberg (3)
Emmanuel Pirard, le 30 mars 2010

(1) Ernest Ansermet,
Ecrits sur la musique, Editions de la Baconnière, Neuchâtel (Suisse),
1971.
(2) Gérard Streletski,
Pierre Dervaux ou
le paradoxe du chef d'orchestre, Editions de l'Archipel, 2002.
(3) Arnold
Schönberg, Journal de Berlin, Christian Bourgeois éditeur, Paris,
1990.
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