Le billet du chef - février 2011

 

 

 

Bavardage

 

 

C'est le nom de Serge Prokofiev qui, le premier, s'est gravé pour toujours dans notre mémoire de "mélomane averti".

 

Russe. Serguéï Serguéïévitch. A composé la musique de "Pierre et le Loup". Jouait bien aux échecs.

 

Plus tard, tout en apprenant avec soin les lettres de notre alphabet et les notes de la gamme, nous ajoutâmes précieusement d'autres pierres à l'édifice, qui serait glorieux, de notre Connaissance.

 

Extraits.

 

Beethoven était sourd.

Bach eut 23 enfants.

Mozart fut enterré dans une fosse commune.

Adolphe Sax a inventé le saxophone.

Saint-Grégoire le chant grégorien.

Jean-Marie Leclair - un violoniste - est mort en duel ou bien fut assassiné.

L'Adagio d'Albinoni n'est pas d'Albinoni.

Dvorak - longtemps après Christophe Colomb - découvrit l'Amérique. Il composa la "Symphonie du Nouveau Monde" - et aussi un "Quatuor américain".

 

Tous ces faits marquants n'offrent certes qu'une vue très parcellaire de l'Histoire de la Musique. Nous l'admettons très volontiers. Et nous devons même confesser que, malgré d'incessantes corrections et une curiosité le plus souvent en éveil, il nous a fallu constater que le chemin qui mène de l'innocente ignorance à une érudition sans faille était définitivement trop long pour nous. Il faudrait nous en accommoder. Le lecteur peut être rassuré.

C'est chose faite.

 

Nous en arrivons tout doucement au "billet du Chef".

 

Pour le musicien, pour le mélomane, pour l'historien, pour l'"honnête homme", pour l'homme de la rue même peut-être, l'origine de la direction d'orchestre est étroitement associée à un événement tragique qui appartient de plein droit à notre petite liste enfantine.

 

Le lecteur l'y a d'ailleurs - c'est évident - déjà rajouté.

 

Rappelons toutefois brièvement les faits (une description complète et magnifiquement romanesque est à lire dans l'ouvrage de Théodore Valensi (1)).

 

1687. Pour la guérison du Roi, Lully compose un "Te Deum" exécuté le 8 janvier en l'Eglise des Feuillants devant toute la Cour. Lully dirige les 150 chanteurs et musiciens avec fougue et avec une longue canne et se blesse au pied. La blessure s'infecte. Lully meurt de la gangrène.

 

Cet événement tragique a sans doute déterminé, par volonté de prudence, le choix des successeurs de Lully à la fonction de chef d'orchestre de troquer la canne meurtrière contre un objet que l'on peut imaginer plus inoffensif.

 

Baguette ou bâton.

 

La normalisation se fait encore attendre.

 

En 1841, Berlioz rend visite à Mendelssohn à Leipzig. L'auteur de la "Marche au supplice" assiste émerveillé à la prestation de chef d'orchestre de l'auteur de la "Marche nuptiale" et lui demande le privilège de recevoir sa baguette en cadeau. Mendelssohn s'exécute avec joie et reçoit les remerciements que voici (2) (voir aussi texte en ligne).

 

Au chef Mendelssohn !

Grand chef ! nous nous sommes promis d'échanger nos tomahawks*; voici le mien ! Il est grossier, le tien est simple ; les squaws** seules et les visages pâles*** aiment les armes ornées. Sois mon frère ! et quand le Grand Esprit nous aura envoyés chasser dans le pays des âmes, que nos guerriers suspendent nos tomahawks unis à la porte du conseil.


* Massues de sauvages.
** Les femmes.
*** Les Européens, les blancs.

 

NDLR : nous supposons que les précisions lexicales ont été ajoutées de la main même de Berlioz - Berlioz qui, on le sait, n'a jamais découvert l'Amérique - à l'occasion de la publication de ses mémoires.

 

Il ne faut pas penser que l'utilisation d'une baguette de chef d'orchestre soit totalement sans risque. La mémoire collective de l'orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie semble en tout cas garder la trace - désormais parfaitement burlesque - d'un épisode authentiquement sanglant que des historiens magnifiquement romanesques auront peut-être un jour le génie d'associer étroitement, pour la postérité, au fait que certains chefs ont aujourd'hui décidé - hier déjà ! - de diriger, comme le font presque tous les chefs de chœurs (et pour écarter enfin toute forme de danger), à mains nues.

 

Parmi ces chefs "extrêmes", il en est un au moins que nous pouvons personnellement admirer sans réserve : Valéry Gergiev.

 

Valéry Gergiev s'est cependant offert une exception remarquable à ce choix délibéré et très contestable de négliger le symbole de sa toute puissance.

Voici.

Il dirige (le concert a déjà été diffusé plusieurs fois sur Arte) tout un programme de musique russe (un orchestre symphonique d'une centaine de musiciens) en tenant entre le pouce et l'index un objet qui nous a semblé posséder tous les attributs d'un cure-dent.

 

Cette étrange parade nous amène au cœur même de notre "billet du Chef".

 

Des scientifiques ont établi que le claquement du fouet du dompteur provenait du fait que l'extrémité du fouet franchissait le mur du son.

Tout à fait intéressant vraiment.

En particulier lorsque l'on fait face au lion.

C'est à n'en pas douter ce qu'entendait démontrer Valéry Gergiev.

 

POSTFACE

Notre "billet du Chef" mis au net, nous avons eu l'occasion de feuilleter, par hasard, une "Edition revue, corrigée et mise à jour en avril 2001" du "Petit Robert des noms propres".

L'article consacré à Lully - long d'environ une demi-colonne (soit un peu moins qu'Einstein et un peu plus qu'Eisenhower) - ne dit rien - rien de rien - des circonstances de sa mort.

0 tempera ! o mores !



Emmanuel Pirard, le 5 mai 2010

 

 

 

Valéry Gergiev

 

              

Lully

 

(1) Théodore Valensi, Louis XIV et Lully, Editions E.L.F., 25, 1 Avenue Auber, Nice, 1951.

(2) Hector Berlioz, Mémoires, Garnier-Flammarion, Paris, 1969.

 

Université de Liège - Culture

Page mise à jour le 16 mars 2011

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