Le billet du chef - décembre 2011

 

 

 

 

 

Tournée en Tchéquie

 

(à Vladka)

 

"On n'est jamais tenu de faire un livre". C'est par cette phrase "extrêmement célèbre" que s'achève l'Introduction Il de "La Pensée et le Mouvant", dernier livre publié par le philosophe français Henri Bergson. Il serait peut-être temps ici, avant que de sombrer lamentablement dans le commentaire, de laisser là Bergson et de revenir à nos moutons. Nous aimerions toutefois, à notre très modeste échelle, et avec une légèreté toute coupable, traduire cette phrase "extrêmement célèbre" "à la façon du Chef". "Un Chef n'est jamais tenu de faire un billet du Chef". Fort de cette nouvelle maxime, nous pourrions, à l'instant, sans frais, nous estimer quitte d'un ouvrage dont l'inachèvement nous chagrinait sans trêve, et dont nous craignions toujours plus qu'il restât définitivement en rade. Oui mais voilà ! Le Chef doit s'y résoudre. C'est impossible. Le fidèle lecteur des "billets du Chef" s'impatiente. Il attend depuis trois bons mois déjà. Et il compte bien, en plus, que le "billet du Chef" consacré à la Tchéquie soit tout à fait à la hauteur du "billet du Chef" consacré à l'Ardèche. Oui mais voilà ! Le fidèle lecteur des "billets du Chef" doit s'y résoudre. C'est impossible. Autre chose est la tournée en Ardèche, autre chose est la tournée en Tchéquie. Autre chose est le "billet du Chef" consacré à l'Ardèche, autre chose est le "billet du Chef" consacré à la Tchéquie. Et il est heureux qu'il en soit ainsi. C'est même un point essentiel. Ceci étant posé, le Chef accepte finalement de s'exécuter. 2011 est donc l'année de la Tchéquie. Le 2 août Bystřice pod Hostýnem. Le 3 août Brno. Le 4 août Kroměříž. A son arrivée, le Chef est surpris et émerveillé de découvrir son nom, ainsi que celui rektora Marcela Dubuissona, déclinés en tchèque. Voilà qui a du chic ! du raffinement ! de l'élégance ! Le Chef est content. Il n'envisage pas pour la cause de tester devant témoin sa prononciation de Bystřice pod Hostýnem, de Brno ou de Kroměříž, ni celle du menu de la cantine, ni celle de quoi que ce soit. De la langue tchèque il écoute bien l'incomparable mélodie. Mais il se trouve fort démuni. Il lui semblerait plus commode d'apprendre à surfer. Il a quand même la hardiesse d'entrer dans une librairie tout à fait tchèque pour s'acheter avec ses couronnes tout aussi tchèques quelques recueils de chansons presque toutes tchèques. Que pourrions-nous dire de plus ? Pas grand chose en tout cas qui puisse faire rire. Il faut dire que la Tchéquie nous a semblé un pays plutôt austère où le rire mériterait sans aucun doute d'être enseigné. Il ne sera pas inutile d'ouvrir ici une courte parenthèse pour noter d'une part qu'il existe au moins UNE heureuse exception à ce qui apparaît comme une sérieuse lacune, d'autre part que, bien que "les origines historiques du présent, dans ce qu'il a de plus important, ne sauraient être complètement élucidées", nous pouvons conjecturer sans crainte que cette heureuse exception trouve sa source dans la remarquable contribution apportée, dans le cadre des programmes Erasmus, par l'Université de Liège et son C.I.M.I. plutôt que dans la traduction en langue tchèque de l'œuvre de Bergson. Fermons cette courte parenthèse pour nous tourner à nouveau vers ce qu'il nous faudrait dire faute de pouvoir faire rire. Il nous a semblé important de dire deux choses. La première, un peu vaine c'est évident, sera une adresse à l'"Homo loquax" (il doit s'en trouver même à l'Université et, comme Bergson, nous le trouvons antipathique). Cet "Homo loquax", qui peut-être à l'occasion commente Bergson, qui sans le connaître juge le travail du C.I.M.I. avec mépris ou condescendance, qui n'imaginerait pas un seul petit instant s'abaisser à assister à l'un de ses concerts, il serait juste qu'il sache que le C.I.M.I. a joué le concert de clôture du prestigieux Festival de Kroměříž. Ce concert s'est donné dans la "Rotonde" construite en 1667-68 sur les plans de l'architecte Giovanni Pietro Tencella et située au centre des Jardins classés depuis 1998 au Patrimoine Mondial de l'Unesco. Un public authentiquement mélomane, parterre riche de robes élégantes et de parures qui n'avait rien à envier aux parterres fleuris tout proches, a longuement applaudi les artistes, leur réservant une "standing ovation". En bref, cet "Homo loquax", serait juste qu'il sache qu'on l'emm... Le Chef se sent beaucoup beaucoup mieux. Il fallait bien un jour que cela sorte. C'est désormais chose faite. Nous pouvons dès lors nous tourner apaisé vers la seconde des choses qu'il nous a semblé important de dire. La seule, à vrai dire, qui soit importante. La tournée en Tchéquie fut une expérience musicale intense. Ce fut absolument évident là-bas. Cela restera évident à jamais. Du programme des trois concerts il n'est peut-être pas inutile de dire un mot. Bach. Concerto pour violon et hautbois. Chef-d'œuvre "extrêmement célèbre". Johann Heinrich Schmelzer (1620-1680). Le génial régional de l'étape. Balletti à 4. Retenons l'envoûtante Sarabanda et, pour les initiés, "le petit boxeur" et "l'Eurovision". Haydn. Le sublime Concerto pour violon en la majeur, si peu connu, si peu joué, clé de voûte indispensable à la réussite exceptionnelle des trois concerts. Nous remercions Samuel Denis de l'incroyable discipline qu'il s'est imposée pour assumer une prestation de soliste somptueuse, et nous lui témoignons toute notre admiration. Telemann enfin. "La Changeante" TWV 55:g2. Suite d'orchestre en huit mouvements. g-G, D, h, e-E-e, C, F, B, g. Ceci explique cela. Un O.V.N.I. dans le ciel de la musique baroque. Qui permet à l'"Homo loquax" de raffiner son ignorance. Qui permet au Chef de contempler la sienne. Pour le musicien une œuvre d'une grande beauté. Des lieux, il n'est peut-être pas inutile de dire aussi un mot. Le Lycée Archiépiscopal. Dans la chambre du Chef, un piano droit Petrov. Au deuxième étage, un piano à queue (un trois-quarts) Petrov. La salle de répétition au Conservatoire tout proche. Une salle pour les auditions, où l'on découvre deux pianos à queue (des demis) Petrov. L'Église baroque complètement baroque de Bystřice pod Hostýnem et le Château situé juste à côté. Dans les salons du premier étage où une collation nous est offerte, un piano à queue (un entier) Petrov. La "Moravska galerie v Brno". Situé sur une grande avenue, l'immense musée est le voisin de la Société Philharmonique. Dans la salle où nous jouons, un piano à queue (un quart) Petrov. Partout la musique est présente. Et le public des concerts est présent lui aussi. Attentif, réceptif, chaleureux. Nous sommes dans un pays où la musique n'est pas qu'un simple délassement. Nous sommes dans un pays où la musique est reine. La tournée en Tchéquie fut une expérience musicale intense. Ce fut absolument évident là-bas. Cela restera évident à jamais. Et si l'"Homo loquax" venait à nous dire qu' évidence n'est point preuve, nous lui accorderions et lui donnerions son congé. Pour le fidèle lecteur des "billets du Chef", pour lui seulement, nous aimerions ajouter encore une toute petite coda. Lors du dernier "week-end" du C.I.M.I. (le quatrième déjà), une quinzaine d'irréductibles passèrent un agréable moment, le samedi, au terme d'une journée de travail bien remplie, à regarder et à commenter dans la bonne humeur et avec une saine impertinence les photos du voyage. A la fin de cette projection festive, l'on s'avisa qu'il existait un document filmé qu'il était éventuellement possible de visionner. Quelques hésitations et quelques connexions plus tard apparaissaient à l'écran la "Rotonde" et d'incompréhensibles gesticulations. Quelques autres hésitations et quelques autres connexions plus tard s'ajoutait la dimension sonore. Nous découvrons alors, avec un peu d'appréhension, l'avant-dernier mouvement de "La Changeante". "Avec douceur". Quelques commentaires encore. Sur la musique, si belle. Sur l'interprétation, parfaitement digne. L'appréhension disparaît. Le dernier mouvement. "Canaries". Le Chef ne boude pas son plaisir d'observer sa propre direction. Pas d'inhibition dans le geste. La folle énergie de Telemann lui semble authentiquement incarnée. Le "bis" enfin. Réclamé par ce public qui, nous l'avions vécu, avait su nous écouter. "Les Scaramouches". C'est le troisième mouvement de "La Changeante". Pièce vive, qui contient en son milieu un Trio d'une infinie subtilité. Les commentaires ont cessé. Chacun fait "effort" pour "se replacer" dans le "changement pur", pour "s'insérer" dans la "durée vraie", pour "ressaisir" la "durée indivisible, irrétrécissable et inextensible". Le Trio commence. Tout à coup un vertigineux silence s'installe. Comme si le Réel vécu là-bas était à nouveau présent ici. Non. Ce n'est pas exactement cela. Le Réel ne peut être qu'ici. Notre attention devient plus aiguë. Elle s'élargit. Un contrepoint sans calcul se crée qui se mêle au Trio. Assise toute droite juste en face du Chef, Apolline touille consciencieusement dans son pot de flan-caramel. Le Trio s'achève. Quelques regards émus se croisent. Les bavardages peuvent reprendre.




Emmanuel Pirard, le 18 novembre 2011

 


Kroměříž : Concert - Rotonde et jardins

 

 

 

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Page mise à jour le 18 janvier 2012

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