Le billet du chef - mars 2012

 

 

 

 

 

Le demi-soupir



 

"Il s'agit de retrouver dans la matière sonore le moment où les signes sur la portée ne sont plus l'image d'un son, mais le symbole d'une pensée".

Ludwig van Beethoven

 

De nos premiers pas en musique, la découverte du demi-soupir nous a laissé un souvenir précis.

 

"Le demi-soupir est le silence de la croche. Il s'écrit comme un sept "à l'endroit" - nous avions appris peu de temps auparavant que le soupir s'écrit comme un sept "à l'envers" (convention quelque peu maladroite, heureusement peu fréquente, qui pourrait peut-être un jour faire l'objet d'un intéressant "billet du Chef").

Dans la mesure en 2/4, dans la mesure en 3/4 et dans la mesure en 4/4 le demi-soupir vaut 1 temps.

Si le demi-soupir est SUR le temps, il faut dire "é" - il y a donc huit "notes" : do, ré, mi, fa, sol, la, si ... et "é" quand il n'y a pas de note (voilà une proposition qui a dû, sur le coup, épater vachement notre jeune esprit logique).

Si le demi-soupir n'est pas sur le temps, ON NE DIT RIEN - la croche et SON demi-soupir valent exactement une noire."

 

L'évidence de ces notions très élémentaires nous semble ne jamais nous avoir quitté.

 

Mais nous avons souvent constaté, au cours de notre carrière de modeste pédagogue, que cette évidence n'était pas toujours partagée.

 

Une première difficulté naît de l'ignorance quasi généralisée du fait que la noire ne vaut pas toujours un temps (vérité que l'on traduit quelquefois en énonçant avec un certain charme qu'une noire ne vaut pas toujours une noire).

 

Une deuxième difficulté naît d'une étrange pédagogie qui, par une étrange réforme peut-être, a décidé d'utiliser le mot "demi", qui contient deux syllabes, en lieu et place du "é" de l'ancienne tradition, "é" qui, comme chaque note et comme on peut le constater, ne contient qu'une seule syllabe.

 

Une troisième difficulté naît de la non-distinction entre les deux situations : autre chose est "SUR le temps", autre chose est "la croche et SON demi-soupir".

 

C'est ainsi qu'au fil des ans, nous avons "assez souvent" tenté, avec succès, ou bien sans succès, d'éliminer de la pensée musicale et de la réflexion théorique des "demi" fort peu judicieux.

 

Le fidèle lecteur des "billets du Chef" ferait une sérieuse injure au C.I.M.I. s'il imaginait un seul instant que l'un ou l'autre membre dudit C.I.M.I. ignore l'exacte valeur du demi-soupir.

 

Nous-même en tout cas n'y pensons pas.

 

Et pourtant ...

 

"Tel un vieux parchemin qui s'enroule sur lui-même,

Les mauvais penchants tendent à revenir ..."

 

Voici.

 

Au programme des deux concerts que le C.I.M.I. vient de consacrer à Johann Chrysostomus Wolfgang Gottlieb Mozart et à son illustre aîné Georg Christoph Wagenseil figurait l'illustrissime "Petite Musique de Nuit" (en anglais, "A little Serenade", pour le musicologue, "Eine kleine Nachtmuzik" K.V. 525). Le deuxième mouvement ("Romanze") commence par deux "croche et SON demi-soupir" - mi au premier violon, do au second - qui forment l'anacrouse du premier membre de phrase. Tout au long des répétitions, nous avons tenté, avec succès, ou bien sans succès, que cette anacrouse soit très précisément ce qu'elle doit être : une anacrouse. Tout au long des répétitions, nous avons tenté, avec succès, ou bien sans succès, d'éviter la lourdeur, d'éviter l'immobilité. Et voici qu'à l'issue du second concert jaillit cet éclair de compréhension : "ils" tentent, vaillamment, de faire quelque chose du demi-soupir.

 

Pourquoi donc ne pas y avoir pensé plus tôt ?

 

Quel c... ! (au singulier pour le Chef, au pluriel pour les musiciens).

 

Tant pis. Une autre fois peut-être serons-nous meilleur pédagogue.

 

L'espoir fait vivre.

 

En attendant, pour nous consoler, il reste deux choses. La première est de saisir pour de bon (avec Wittgenstein per exemple) que nous avons seulement trouvé UNE cause possible de nos difficultés et non LA cause de nos difficultés. La seconde est de nous réjouir et de nous réjouir encore du fait très réel que pour l'un des deux concerts, ladite anacrouse fut absolument parfaite et la "Romanze" tout entière un moment de grâce. 




Emmanuel Pirard, le 6 mars 2012

 

 

 

Université de Liège - Culture

Page mise à jour le 16 avril 2012

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Orchestre à cordes de l'Université de Liège
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