Le billet du chef - mai 2012

 

 

 

 

 

Ah ! Ces gammes



La plupart des musiciens du C.I.M.I. devraient pouvoir vous le confirmer sans guère d'hésitation. En do mineur, il y a trois bémols à la clé. Le si bémol. En premier. Ensuite, le mi bémol. Et, enfin, le la bémol - "si-mi-la" de "si-mi-la-ré-sol-do-fa" l'ordre des bémols (qui entre parenthèses c'est rigolo et facile à retenir est l'inverse ou le contraire de '"fa-do-sol-ré-la-mi-si" l'ordre des dièses).


Ces notions théoriques approfondies, établies avec patience et précaution au fil des ans, semblent désormais fermement acquises.


Chacun s'en réjouit.


Voici pourtant que le Chef dépose sur les pupitres un tout frais "Concerto in C minor (RV 118) for strings & continuo edited by Brian Clark & Clifford Bartlett".


Étonnement. Stupeur. Incompréhension.


A côté des clés de sol - des clés d'ut 3 ou des clés de fa cela ne change évidemment rien - ne figurent que deux malheureux petits bémols : si et mi (C.I.M.I. c'est autre chose ...).


Étonnement. Stupeur. Incompréhension.


La connaissance de l'anglais n'est ici pas en cause. Celle des membres du Cercle est en général - il faut le souligner - à l'abri de tout soupçon. Cherchons ailleurs. "A" c'est la. "B" c'est si. "C", do. "D", ré. "E", mi, "F", fa, "G", sol. "C minor" est donc bien do mineur. Il n'y a absolument aucun doute possible. Do mineur deux bémols ... Chef ! ça ne va pas !


Explication du Chef.


En ces temps heureux où une systématisation cohérente & complète de l'approche théorique n'apparaissait pas indispensable aux théoriciens, diverses conventions pouvaient cohabiter. C'est ainsi que l'on rencontre assez souvent ré mineur sans altération, sol mineur avec un bémol, do mineur avec deux et fa mineur avec trois. Ce n'est vraiment pas trop compliqué à comprendre.


S'il vous faut un éclairage plus savant, nous pourrions dire que les compositeurs, soucieux déjà des (comme l'on dit "au jour d'aujourd'hui") "problématiques" liées au stress, souhaitaient certainement éviter d'effrayer d'entrée les violonistes, les altistes et les violoncellistes, peu à leur aise face à l'accumulation névrotique d'altérations descendantes. D'un côté, il est nettement plus facile de compter jusqu'à deux plutôt que jusqu'à trois (même pour un membre du C.I.M.I.). D'un autre côté, la succession des bémols, qui supprime petit à petit toute corde à vide salvatrice, représente une contrainte physique embarrassante. Sagesse donc.


Ajoutons encore quant à nous, et très sérieusement cette fois, qu'il nous semble que la partition y gagne en clarté, et aussi en élégance.


Hélas ! trois fois hélas ! il nous faut constater, par expérience, défaits et déconfits, que cette antique convention n'est pas sans inconvénients. Il faut en effet beaucoup de temps et de patience pour arriver à éliminer d'un merveilleux concerto ripieno en ut mineur RV 118 édité avec un soin exemplaire par Brian Clark et Clifford Bartlett tous les la bémols qu'Antonio Vivaldi n'a nullement prévu et qu'un automatisme pervers, qui semblait inconnu hier encore, et qui sera oublié dès demain, veut absolument ajouter.


Étrange n'est-il pas ?


Une question - toute pertinente et tout impertinente - titille ici subitement notre esprit. Que se passe-t-il là où "la plupart des musiciens a payé à suffisance son écot aux souffrances mythologiques de l'apprentissage instrumental, aux gammes et arpèges enfilés sans discontinuer comme les perles amères d'un rosaire temporel ..." ?
Élément de réponse. Élément seulement.


Grâce à l'illustrissime "Stabat Mater" de Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736).
Face à ce chef-d'œuvre - peut-être l'ouvrage de musique sacrée le plus joué au monde -, il existe deux attitudes.


D'une part la perfection de l'authenticité.
La "partition de poche" du Stabat Mater (83 pages) éditée par Eulenburg - la "partition de poche" est destinée à l'ornementation des bibliothèques, au plaisir du mélomane ou à une étude plus ou moins approfondie - suit le manuscrit autographe et respecte ainsi partiellement, comme Pergolèse lui-même, l'ancienne convention. Les n°1, 6 et 12, en fa mineur, sont notés avec trois bémols. Les n° 5 et 7, en ut mineur, avec deux bémols. Par contre, les n°3, 8 et 10, en sol mineur, sont notés avec deux bémols. Et, curieusement, le n°2, en ut mineur, est noté avec trois bémols - la pièce module en si bémol mineur et en la bémol majeur : ceci explique peut-être cela.


D'autre part la perfection du pragmatisme.
La "grande partition" du Stabat Mater (56 pages) éditée par Breitkopf & Härtels - la "grande partition" est vraiment précieuse pour un chef en situation réelle - suit elle aussi le manuscrit autographe mais se conforme d'un bout à l'autre aux normes modernes de notation des tonalités.
 

Il semble que le matériel d'orchestre édité par Breitkopf & Härtels fait autorité.
Étrange n'est-il pas?


Une phrase de Patrick Timsit - on sait que l'acteur français semble éprouver un plaisir sans la moindre gêne à transgresser allègrement les limites qu'une certaine idée du génie créateur nous encourage sans cesse à approcher, à effleurer, à toucher, mais qu'une certaine idée du bon goût nous interdit de jamais franchir - titille ici subitement notre esprit.
Elle s'impose à nous. Tant pis.
Elle nous permettra de conclure.
"Parfois, je regarde la télé toute la journée, c'est chiant !
Mais quand je l'allume, c'est pire ..."
*



Emmanuel Pirard, le 4 janvier 2011

 




* Olivier Lockert, Citations à rire & réfléchir, Editions IFHE, Paris, 2002

 

 

 

 

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Page mise à jour le 14 septembre 2012

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