Spirales

La légende est jolie. Elle est riche d'enseignements. Il nous faut, comme le
griot que quelquefois nous rêvons d'être, la redire.
En 1963, lors d'une conférence scientifique fort ennuyeuse, le mathématicien
polonais Stanislaw Marcin Ulam laissait aller machinalement son crayon sur
les espaces encore libres de la feuille un peu chiffonnée qu'il avait
déposée devant lui. Plutôt que de griffonner sauvagement des clés de sol,
comme nous pourrions certainement être amenés à le faire si par malheur nous
devions être contraints de subir une conférence traitant doctement de
"musique contemporaine", Stanislaw Marcin Ulam aligna en bon ordre des
entiers successifs, tout en les enroulant consciencieusement dans une espèce
de spirale carrée. Son crayon resta immobile un moment, puis, changeant de
cap, reprit son errance. Plutôt cette fois de griffonner furieusement des
dièses ou des bémols, le mathématicien polonais entoura avec application
chacun des nombres premiers qu'il rencontra.
Quelques clics suffiront ici au fidèle lecteur des "billets du Chef" pour
en apprendre autant et beaucoup plus que ledit Chef sur la "spirale d'Ulam".
Clic ! Clic !
Le fidèle lecteur des "billets du Chef" a disparu. Reviendra-t-il ?
Nul ne le sait,
Car il faut l'admettre sans détour. La découverte de la "spirale d'Ulam",
c'est-à-dire la découverte d'un lien tangible entre les
nombres premiers, saisit totalement.
Cette étincelle semble être la promesse d'un plein embrasement.
C'est, nous l'imaginons, ce qui valut à la "spirale d'Ulam" - ou "spirale
des nombres premiers" ou encore, dans d'autres langues,
"horloge d'Ulam" - de faire la couverture du "Scientific American" en mars
1964.
Las ! la promesse est un leurre.
Que la "spirale d'Ulam" soit représentée sur le couverture du "Scientific
American", sur l'écran de votre P.C., sur la feuille un peu chiffonnée sur
laquelle vous griffonnez, sur le rouleau précieux d'un Maître calligraphe ou
sur la façade d'un Institut de Mathématiques n'y change rien : la "spirale
d'Ulam" n'est guère qu'un témoignage de plus - témoignage totalement
saisissant - de la fascination qu'exercent sans fin, depuis que l'homme
compte et pense et calcule, les nombres premiers.
Le fidèle lecteur des "billets du Chef" n'est pas revenu.
Un tourbillon magique et maléfique l'aura emporté vers d'aveugles et
divertissantes ténèbres.
Dommage.
Nous aurions aimé profiter de l'occasion pour l'entretenir d'une autre
spirale qui nous tient à cœur et qui semble échapper pour de bon à tous les
Grands Prêtres de la "musique contemporaine". C'est cette autre spirale que
le musicien - qu'il soit flûtiste, pianiste, violoncelliste, accordéoniste,
diva ou chef d'orchestre n'y change rien - doit à chaque instant trouver et
trouver encore s'il souhaite toucher le silence véritable et contempler
l'infini.
La nature de cette autre spirale reste mystérieuse.
"Non-computable" peut-être.
Emmanuel Pirard, le 12 février 2011
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