No comment (IV)

S'adapter : ce mot est devenu un slogan, voire le mot
clé pour toute forme de comportement conforme à la réalité. La menace qui en
résulte pour la vérité intérieure et la créativité authentique est évidente.
Les entreprises économiques dépendent moins, de nos jours, du génie d'un
individu exceptionnel que de la capacité à s'adapter à la situation du
marché. Cette adaptation au monde implique que l'homme devient lui-même une
parcelle de monde, une petite roue dans une grande machine. Il devient ainsi
fonctionnel, fonctionnarisé.
La perte de l'intégrité se manifeste dans le
développement unilatéral de l'aspect masculin au détriment de l'aspect
féminin. Lorsque l'homme ne développe que les aptitudes aux réalisations
extérieures, il finit par devenir un robot. Cela concerne surtout les
instances dirigeantes de la vie publique. Le manager est souvent l'incarnation de toutes les forces de domination du monde, allant de pair
avec une carence totale de capacité à la maturation intérieure et à la
profondeur spirituelle. Il est l'homme qui sait tout, peut tout et possède
tout, mais qui n'est pas encore arrivé à être lui-même.
Voici un exemple des conséquences de l'importance
insuffisante accordée à la part féminine et donc aussi à la part artistique
de la vie : un P.D.G. m'a raconté un jour : « Je possède tout ce dont j'ai
besoin, je suis en bonne santé, je n'ai aucun souci d'argent, j'ai une vie
de famille heureuse. Et pourtant je suis angoissé, ce n'est pas de la
crainte, non, c'est de l'angoisse, une angoisse sans raison. - Depuis quand
?, lui ai-je demandé. - Drôle de question, a-t-il répondu, mais laissez-moi
réfléchir. Voilà, depuis environ cinq ans. Peut-être cela a-t-il un rapport
avec le fait qu'à l'époque, j'ai remisé mon violoncelle dans un
placard parce que je n'avais plus le temps d'en jouer comme je le faisais
tous les soirs. » C'était évidemment la cause de son angoisse, car faire de
la musique, s'adonner à un art comme celui-ci, c'est exprimer son côté
féminin.
Lorsque les forces féminines, les forces
artistiques ne peuvent pas s'exprimer, notre souffle de vie se trouve comme
étouffé et cela crée une profonde angoisse dans notre inconscient. Des
milliers de personnes souffrent de ce mal.
Karlfried Graf Dürckheim*
* Extrait du discours prononcé le 10 novembre 1974 à Delhi lors de
l'anniversaire du pandit Nehru, publié dans l'Expérience de la Transcendance,
Albin Michel, 1994.
|