Le billet du chef - octobre 2012

 

 

 

 

No comment (IV)



S'adapter : ce mot est devenu un slogan, voire le mot clé pour toute forme de comportement conforme à la réalité. La menace qui en résulte pour la vérité intérieure et la créativité authentique est évidente. Les entreprises économiques dépendent moins, de nos jours, du génie d'un individu exceptionnel que de la capacité à s'adapter à la situation du marché. Cette adaptation au monde implique que l'homme devient lui-même une parcelle de monde, une petite roue dans une grande machine. Il devient ainsi fonctionnel, fonctionnarisé.
 

La perte de l'intégrité se manifeste dans le développement unilatéral de l'aspect masculin au détriment de l'aspect féminin. Lorsque l'homme ne développe que les aptitudes aux réalisations extérieures, il finit par devenir un robot. Cela concerne surtout les instances dirigeantes de la vie publique. Le manager est souvent l'incarnation de toutes les forces de domination du monde, allant de pair avec une carence totale de capacité à la maturation intérieure et à la profondeur spirituelle. Il est l'homme qui sait tout, peut tout et possède tout, mais qui n'est pas encore arrivé à être lui-même.
 

Voici un exemple des conséquences de l'importance insuffisante accordée à la part féminine et donc aussi à la part artistique de la vie : un P.D.G. m'a raconté un jour : « Je possède tout ce dont j'ai besoin, je suis en bonne santé, je n'ai aucun souci d'argent, j'ai une vie de famille heureuse. Et pourtant je suis angoissé, ce n'est pas de la crainte, non, c'est de l'angoisse, une angoisse sans raison. - Depuis quand ?, lui ai-je demandé. - Drôle de question, a-t-il répondu, mais laissez-moi réfléchir. Voilà, depuis environ cinq ans. Peut-être cela a-t-il un rapport avec le fait qu'à l'époque, j'ai remisé mon violoncelle dans un placard parce que je n'avais plus le temps d'en jouer comme je le faisais tous les soirs. » C'était évidemment la cause de son angoisse, car faire de la musique, s'adonner à un art comme celui-ci, c'est exprimer son côté féminin.
 

Lorsque les forces féminines, les forces artistiques ne peuvent pas s'exprimer, notre souffle de vie se trouve comme étouffé et cela crée une profonde angoisse dans notre inconscient. Des milliers de personnes souffrent de ce mal.




Karlfried Graf Dürckheim*

 

      

 

* Extrait du discours prononcé le 10 novembre 1974 à Delhi lors de l'anniversaire du pandit Nehru, publié dans l'Expérience de la Transcendance, Albin Michel, 1994.

 

 

 

 

Université de Liège - Culture

Page mise à jour le 16 janvier 2013

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