Le billet du chef - mai 2013

 

 

 

 L'acte imageant musical (I)


 

Aborder avec intelligence le point central de la musique tout en gardant la légèreté de ton qui sied à un "billet du Chef" est une gageure.

 

Une clé pleine de charme s'est offerte l'autre jour qui nous encourage à le tenter, hardiment.

 

Cette clé - l'événement n'était nullement prévu - pourrait, sans difficulté conceptuelle majeure, faire l'objet d'un protocole expérimental parfaitement rigoureux, avec courbes et statistiques. Ce type de divertissement, supposé sérieux, messied toutefois à un "billet du Chef". Il messied d'ailleurs tout autant, désormais, à notre intelligence.

 

Or donc une élève adulte et sympa déchiffrait avec gourmandise le final (Allegro) d'une Sonate (Editions Amadeus BP 2482) de Johann Christoph Pepusch (Berlin 1667 - Londres 1752).

 

Le mouvement commence par :

Il continue, plus loin, par:

C'est là, après la reprise, que, troublée qui sait ? par l'abondance toute relative des lignes supplémentaires, notre élève adulte et sympa s'obstina, un bon moment, et avec un enthousiasme attendrissant, à ajouter un mi aigu entre la cinquième et la sixième double croche de la deuxième mesure, improvisant ainsi un curieux quintolet, métriquement plutôt bancal, mais du plus bel effet.

 

Nous avons accueilli précieusement, dans sa drôlerie comme dans son auguste naïveté, cet élan de créativité. Il nous amène aujourd'hui tout naturellement à nous autoriser à disserter ici, sans chichis insanes, de la question, fondamentale, de l'acte imageant musical.

 

Trois questions nous viennent à l'esprit.

 

Première question : quand décide-t-on de jouer "ré" plutôt que "mi" ?

Deuxième question : qui est ce "on" qui décide ?

Troisième question : quelles sont les conditions à remplir pour qu'une telle décision soit authentiquement musicale ?

 

Première réponse.

 

Il faut décider avant. Avant quoi ? Avant de se tromper.

 

Cette première réponse - qui n'est à l'évidence pas contraire à la vérité vraie - est absolument insuffisante.

 

Deuxième réponse.

 

La "conscience pure".

 

Cette deuxième réponse, certes un peu laconique, est absolument parfaite.

 

Pour en savoir plus - cela peut sembler utile et même presqu'indispensable -, il faut lire - ce n'est pas si simple - Ernest Ansermet (1).

 

Un éclairage original - profond pour qui veut l'entendre - à ces six cents et quelques pages est donné par les quelques lignes qui suivent et sont extraites d'un petit ouvrage quasi testamentaire - et aussi, il faut le reconnaître avec humilité, quasi illisible - du physicien français disciple de Louis de Broglie Olivier Costa de Beauregard (1911-2007) :

 

"Remarquables aussi sont des expériences de Libet, dont l'une (1985) montre qu'à l'instant où l'on a conscience de prendre une initiative motrice le signal moteur est déjà parti depuis environ une demi-seconde - un temps "énorme", durant lequel la lumière parcourt environ 150.000 kilomètres. "Qui donc, alors, a pris la décision ?" (2)

 

Troisième réponse.

 

Nous ne craindrons pas ici de citer Wilhelm Furtwängler. Tout en sachant pertinemment que son propos a pour objet de révéler Bach, Beethoven, Brahms ou Bruckner plutôt que l'obscur Johann Christoph Pepusch - un Johann Christoph Pepusch dont le nom, rappelons-le quand même, est associé, pour l'éternité, à l'illustrissime "Beggar's Opera".

 

"Die in sich selbst ruhende sinfonische "Form" der Deutschen beruht auf einer Fähigkeit tiefer Entspannung, tiefer Harmonie aus sich selbst heraus. Es ist dies eine reale "Fähigkeit", die durch nichts anderes ersetzt werden kann und die die unabdingbare Weltgeltung der deutschen Musik ausmacht." (3)

 

Fin des réponses.

 

La tentative a-t-elle abouti ?

 

Nous l'ignorons.

 

Il est toujours possible pour le lecteur d'aller plus avant en rejoignant, le jeudi soir, les rangs du C.I.M.I.



Emmanuel Pirard, 21 mai 2010

 

 

 

        
                                Ernest Ansermet                                                                             Wilhelm Furtwängler                                 

 

 


(1) Ernest Ansermet, Les Fondements de la Musique dans la Conscience Humaine, Editions de la Baconnière, Neuchâtel (Suisse), 1961.

(2) Olivier Costa de Beauregard, Le corps subtil du réel éclaté, Aubin Editeur, Saint-Etienne, 1995.

(3) Wilhelm Furtwängler, Aufzeichnungen 1924-1954, Atlantis Musikbuch-Verlag, Zürich und Mainz, 1996.


 

 

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Page mise à jour le 2 septembre 2013

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